Ce journal de bord accompagne la résidence de création que j’ai menée dans quatre établissements médico-sociaux du sud du Lot, dans le cadre du dispositif Culture, Santé, Handicap et Dépendance avec l’artothèque du Lot. Durant neuf semaines réparties entre avril et novembre 2022, j’ai travaillé avec des habitantes et habitants de ces institutions et j’ai photographié avec elles et eux, leur cadre de vie.

Cette première semaine de résidence est dédiée aux rencontres avec les personnes vivant au sein de l’Ehpad et de la Maison d’Accueil Spécialisée de Castelnau-Montratier ainsi qu’avec les équipes qui les accompagnent. Il s’agit tout d’abord de faire connaissance, d’échanger autour de photographies présentes dans leur environnement et de celles que j’apporte de mon côté, issues de projets précédents. Puis, je présente le travail que je vais effectuer sur place dans le cadre de cette résidence de création. L’emploi du temps s’est construit en se fondant sur les rythmes de vie des habitant·es des institutions. Afin de pouvoir les rencontrer à des moments propices, il a été décidé que je passerai les matinées à la mas et les après-midis à l’ehpad.
À la Maison d’Accueil Spécialisée, je suis accompagnée dans mon projet par Anaïs et Carole, respectivement monitrice et cheffe de service au sein de cet établissement. Elles ont identifié huit personnes susceptibles d’être intéressées par le projet et en capacité de s’y investir. En effet, il n’est pas envisageable de solliciter des personnes qui ne sont pas en mesure de m’indiquer quoi photographier et comment le photographier. Chaque rencontre a lieu dans un espace adapté à la personne : dans la salle d’arts plastiques pour certaines, dans une salle de musique au sein de laquelle je vais pouvoir rester à distance pour une autre, parfois à l’extérieur ou bien dans l’unité de vie pour les personnes atteintes de la maladie d’Huntington, qui sont moins mobiles. En amont de chaque rencontre, je m’entretiens avec Anaïs ou Carole afin de savoir comment je peux présenter mon projet, si je ne parle que de ce je ferai dans l’immédiat (montrer des photographies et déterminer là où les personnes voudraient en faire) ou bien si je peux exposer la globalité du projet, se développant sur plusieurs mois. Cette approche est très formatrice : parvenir à expliquer un projet en restant dans le concret, le présent, en allant à l’essentiel est un exercice qui permet de clarifier mon approche. Pour chaque rencontre, je dois m’adapter à ce que la personne va pouvoir comprendre, à sa sensibilité. Carole et Anaïs prennent des notes durant ces échanges pour les relire à la fin à l’habitant·es et s’assurer que nous nous sommes bien compris·es. Cette écoute de l’autre est particulièrement qualitative. Il n’y a pas un langage universel, mais une multiplicité de faire et une singularité de manière de recevoir la parole de l’autre. Ces personnes nous ramènent à l’essentiel : l’écoute, la clarté des propos, le sens donné aux choses, le bien-être que cela peut procurer, l’intérêt qu’on pourra y trouver.

En parallèle de ces rencontres à la mas, je fais connaissance avec les habitant·es de l’Ehpad. L’approche est différente car je peux entrer en contact directement avec les habitant·es, avec la complicité de l’équipe soignante, administrative et d’animation. Le temps que j’avais eu l’occasion d’y passer pour préparer la résidence m’a permis d’y avoir mes repères. J’y revois des personnes avec lesquelles j’avais échangé précédemment et d’autres qui ont eu l’occasion d’entendre parler du projet par Loris, éducateur au sein de l’établissement. Les après-midis passés à l’ehpad sont ponctués par des jeux faits avec les résident·es, des moments d’échange sur leur vie passée, des petits coups de main rendus et des balades à l’extérieur. Les rencontres sont moins ritualisées qu’à la mas. Je saisis davantage l’opportunité de sortir un livre et de parler des photographies lors d’un échange informel. Dans cet établissement où je passerai le plus de temps, la priorité est de faire connaissance avec les nombreuses personnes y vivant et y travaillant. Les discussions portent souvent sur la vie d’avant l’institution : la maison qu’on a quittée, parfois vendue, le mari ou la femme décédé.e, les enfants trop loin, etc. Si, à la mas, j’ai affaire à des personnes qui ont toujours vécu en institution, à l’ehpad, l’arrivée se fait souvent précipitamment, après un problème de santé lourd empêchant le maintien à domicile. Il y a tout de même quelques personnes encore autonomes, possédant parfois une voiture et qui voient en la vie en maison de retraite un moyen de se décharger des tâches du quotidien (ménage, repas, lessive) et d’être en contact permanent avec autrui. Mais pour beaucoup, le souvenir de la vie d’avant reste douloureux. Aussi, je m’interroge sur ce que les images que je produirai vont raconter de leur vie ici. Dans certaines chambres il n’y a rien car les personnes me disent qu’elles ont tout « chez elles », dans leur maison d’avant. Peut-être dois-je aller photographier des vues extérieures familières, des paysages qui évoquent leur cadre de vie faisant le lien entre la vie d’avant et la vie de maintenant ? Pour autant, la vie dans la résidence est ponctuée de moments joyeux, notamment lorsque certaines femmes se mettent à chanter, attirant les autres habitant·es autour d’elles. En fin de journée, le hall d’accueil se transforme en place de village. Les habitant·es d’ici se connaissent d’avant, ils et elles ont grandi parfois ensemble. Le personnel appartient aussi à cette petite communauté ou sont le fils ou la fille de personnes du coin.

Au bout d’une semaine sur place, entre l’Ehpad et la mas, mon approche se clarifie : je tente de co-construire avec les personnes que je rencontre une image de leur cadre de vie. Elles sont mes guides pour déterminer ce qui mérite de rester en mémoire de leur vie d’ici.